4 février 2012

L'ÉTAT VOUS AIME, AIMEZ L'ÉTAT !

L'ÉTAT VOUS AIME, AIMEZ L'ÉTAT !

Culture pour chacun pour soi (4) - les politiques publiques par la séduction.

Cet article fait suite (-et-fin) à trois autres textes sur le projet "Culture pour chacun"
(1)- l'évolution de l'action culturelle d'État
(2) - comment on a élaboré la "doctrine"
(3) – l’enterrement.


Il y a un an, le 4 février 2011, Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, célébrait son projet de « Culture pour tous, Culture pour chacun, Culture partagée », lors d’un grand forum à Paris. Les jours suivants, le projet, initié quelques mois mois plus tôt par le rapport « Culture pour chacun », était laissé pour mort. Sur le très coûteux site du ministère, la rubrique Culture partagée fait apparaître les étapes de ce projet : le dernier texte y fut posté le 3 février 2011. RIP.

« Pour chacun », « pour tous », « partagée » ou sans slogan… Quel que soit l’idée que le ministre voulait associer à la culture, le rapport « Culture pour chacun » marquait par sa bêtise et son inaptitude.

Mais comment a-t-on pu pondre un tel rapport, engageant l’Etat et les pouvoirs publics ? Comment la Fonction publique, structure théoriquement neutre et sans enjeux commerciaux, voit-elle certaines de ses structures devenir si viles et si serviles face aux industries et aux actionnaires ?





La banale humanité de l’État

L’État, en tant qu’organisation de tous les corps de la société, est une entité impersonnelle, tel qu’il a été conceptualisé avant et après la révolution de 1789 (Rousseau, Montesquieu, séparation des pouvoirs, dirigeants soumis à une constitution, etc.). L’État transcende les passions et les désirs ; les lois ou les règles de droit qui en sont issues sont des normes impersonnelles. La conduite de l’État est censée être désintéressée, on peut dire désincarnée. Quant au gouvernement qui assure cette conduite, il est censé incarner cette entité transcendante et unifiante.

Ainsi traditionnellement, le gouvernement agit pour le bien commun (en matière culturelle, de défense, de sports, etc.), sur mandat du peuple, qu’il représente en lui demeurant supérieur. En retour, le peuple ne doit rien à l’État. Et les gouvernants n’ont pas vocation à attendre que le peuple leur témoigne de la reconnaissance ou de l’affection. Ils doivent être légitimes auprès du peuple sans chercher à le séduire.

L’idée d’un État transcendant était assez facile à faire admettre au sein d’une monarchie : l'État était certes personnalisé par le roi, mais il était en même temps impersonnel dans la mesure où le roi était représentant de Dieu… Mais plus de deux siècles après la Révolution française — notamment après la loi séparant l’Eglise et l’État — l’idée d’un État « d’essence divine » a fait long feu.

Aujourd’hui c’est moins évident: l’État républicain est censé être impersonnel, certes, mais il ne reste plus grand monde à en être convaincu. La république, la laïcité, les idéologies socialistes, le suffrage universel ouvert à des catégories de populations plus larges, la transparence des comptes… Tous ces progrès ont fait apparaître l’État pour ce qu’il est : une entité régie par des gens. Des gens qui servent parfois des intérêts particuliers, des gens pétris de désirs, de ressentiments, d’aspirations et de craintes humaines. Parce que l’État a perdu ce caractère impersonnel aux yeux des administrés, les hauts fonctionnaires n’incarnent plus une entité supérieure.

Par ailleurs, les luttes de partis, l’explosion des médias et la peopolisation des dirigeants, les débats générés par les mouvements contestataires, ont contribué à personnaliser les acteurs du pouvoir, à les « rendre proches de nous » et à faire éclater leurs affects ; le gouvernement est désormais d’une banale humanité. Et l’autorité de l’État en prend un coup.

Quand le roi chiait debout, il lançait une mode ; quand il conquérait des terres et achetait des esclaves, il imposait sa puissance sans avoir à se justifier. Aujourd’hui, il faut beaucoup d’efforts, même à un président de la république, pour expliquer des emplois fictifs…


La parade amoureuse des pouvoirs publics

L’État a perdu son caractère impersonnel, arrachant aux clergés et aux élites l’immunité morale dont ils bénéficiaient. Les dirigeants ne peuvent empêcher leurs affects d’être crûment révélés ; leurs névroses et leurs faiblesses sont médiatisées, discutées, leurs stratégies de pouvoir et leurs amis infréquentables sont mis au grand jour… Leur légitimité est sans cesse remise en jeu, et ils doivent déployer des efforts pour conquérir le peuple ou continuer à lui plaire. Le jeu démocratique implique cela : les élus sont des représentants de leurs administrés, et pour le rester ils doivent les convaincre. Il faut être aimable et paraître accessible, user de beaux discours pour paraître convaincants et d’artifices pour se rendre attrayants... Les moyens varient selon les circonstances : créer du lien affectif, instaurer de la familiarité, rassurer, impressionner, incarner une figure parentale…

D’où l’importance croissante des services de communication, de relations publiques, de prospection, de statistiques, etc : il faudra séduire l’opinion publique pour mieux anticiper ses réactions. Séduire le peuple pour le manipuler.

Un autre phénomène a poussé l’État à mener une politique de séduction : c’est la privatisation, souvent suivie de leur entrée sur le marché boursier.

La publicité est traditionnellement l’apanage des entreprises privées. Or à mesure que les financements publics stagnent, les structures publiques doivent trouver des « ressources propres », et adoptent souvent des stratégies d’entreprises à rentabiliser. Il y a mille façons de générer des ressources propres grâce au public, par le marketing. Vente de DVD dans les bureaux de poste ; explosion tarifaire des visites guidées dans les musées ; « offres » de nouveaux services par EDF, etc.

Mais il faut aussi séduire les actionnaires, les entreprises, les investisseurs. Les moyens sont nombreux. Mise à disposition des locaux prestigieux de certains établissements — mairies ou autres administrations territoriales, musées, grandes écoles — pour des galas d’entreprises. Mécénat privé pour des coûteuses opérations médiatisées — caritatives, sportives, culturelles (16). Partenariat exclusif avec des groupes industriels pour des programmes d’études ou pour réhabiliter un quartier (quartier qui, avec de la chance, deviendra « d’affaires »). Préparation de projets présentés comme suffisamment spectaculaires et mirifiques pour contracter un emprunt à un taux intéressant par des organismes bancaires. Quitte à bonimenter… Dans les énergies, les « télécom », la Culture ou l’enseignement public, il faut paraître rentable, sembler solvable, puisqu’on a affaire à investisseurs.


Les services de comm’ et de prospection des établissements publics sont chargés de vendre l’image de marque (certains établissements publics sont aussi des marques, comme le Louvre®), et de faire de l’évènementiel. Jusqu’ici c’était le boulot des agences publicitaires, mais les structures publiques se sont dotées de services de communication importants et performants.

Certains parleront d’une évolution inévitable ; je préfère parler ici d’un choix de société. Dans tous les cas, il faut en prendre la mesure. Car cela implique un changement dans les missions fondamentales. Si au départ il s’agissait pour les structures publiques de garantir la démocratie et d’exercer la politique de l’État impersonnel (offrir un bien commun, assurer la cohésion sociale, rendre accessible à tous, etc.), il s’agit aujourd’hui d’autre chose : il faut leur donner une image séduisante, prometteuse, vendable (17)

Les pouvoirs publics, quand ils n’ont plus de légitimité naturelle, se voient obligés à déployer des trésors (publics !) dans des campagnes de propagande — de sensibilisation, dit-on — censées expliquer, convaincre, rassurer (18). C’est ainsi que les élus se font VRP…

Les salariés sont mis à contribution : aux postes de communication et de prospective, on place très souvent des contractuels, relativement précaires. Ils sont chargés de missions, contractuels publics ou vacataires, intervenants ponctuels, prestataires privés (19). Le point commun à tous ceux-là, c’est qu’ils sont là pour peu de temps mais qu’ils sont soumis à une forte pression, devant intégrer un tas d’exigences fortes : le droit public et les marchés publics, les contrats de performances, et dans une moindre mesure les changements de gouvernance politique. Ils sont là pour draguer les entreprises, faire des économies d’échelle, contribuer à changer l’image de marque… Peu impliqués dans l’évolution de l’établissement, ils doivent par contre assurer leur carrière ; ils ont donc intérêt à privilégier des projets à courts termes qui valorisent leur apport personnel. Les responsabilités toujours plus grandes qu’on fait peser sur chacun, les nouvelles méthodes de management (20), les nouvelles évaluations (21), tout cela pousse chacun à vouloir se démarquer, sortir du lot. Les enjeux affectifs se développent, la méfiance et la concurrence aussi. Bien faire son travail et se faire apprécier n’est pas suffisant ; il est bien vu de montrer de l’ambition — à tel point qu’il est devenu mal vu de se contenter de seulement bien faire son boulot !

Ces salariés exécutent les orientations données par leur hiérarchie : des N+1 soucieux de laisser une trace de leur travail à leurs postes. Cadres supérieurs, hauts fonctionnaires, élus et administrateurs de structures territoriales… Ceux-là doivent laisser une trace, marquer leur territoire. Et trop souvent, on leur laisse la marge pour proposer des projets à court terme, sans chercher à savoir si leurs successeurs pourront en assurer le suivi. L’objectif est de mettre en branle des projets spectaculaires, médiatisables et conçus pour remporter un succès immédiat.

Les principes du service public (intérêt général, équité, accès à tous…) en prennent un coup : la Fonction publique devient, peu à peu, la somme des ego qui la constituent.

Les politiques libérales, accélérées par la RGPP (22), n’arrangent rien. Les postes de fonctionnaires disparaissent, remplacés par des personnels plus précaires — donc moins armés, plus démunis face aux abus de pouvoirs et à l’intimidation. L’individualisme et la précarité, qui progressent au sein de la Fonction publique, imposent des marges étroites ; il faut agir brutalement et dans des délais toujours plus courts. Certains responsables, poussés par leurs tutelles, entreprennent à la hâte des « tournants décisifs », des « ruptures » et des « redéfinitions de l’inclination » : des mesures qui s’accumulent dans la plus belle confusion.

En cela, le rapport « culture pour chacun » est symptomatique de l’époque : on y perçoit la subordination et la vision à court terme.


Culture pour chacun : pour être populaire, soyons tout mous.

Au Ministère de la culture, la communication prend une part particulièrement importante avec certains nouveaux métiers : prospection, productions audiovisuelles, marché de l’art, relations internationales et avec les industries culturelles, mécénat… d’où la nécessité de forger un discours, une posture, qui rassurera les partenaires. La posture adoptée consiste à se la jouer peuple. Comme je l’ai écrit en avril dernier, les pouvoirs publics ont commencé, dans les années 80, à faire en sorte que la culture puisse se vendre, et qu’elle soit fun, glamour, attrayante comme un pot de yaourt à boire (il fallait servir les orientations marchandes, associées ensuite au traité de Maastricht et à l’AGCS…). On a développé les cultures de catégories sociales, communautaires et ciblées, encourageant chacun à se nourrir d’une culture prête-à-consommer, faite pour lui. Culture de jeunes. Culture black. Culture gay. Culture des régions. Culture urbaine…

On entérine ainsi que telle population est sensible à telle forme d’art et qu’il y a une forme d’art pour chaque population. Mais en acceptant cela, on éloigne chaque population de toutes les autres formes d’art, jugées inadaptées, mal ciblées. Au mieux, on pousse les classes moyennes en mal de sensations authentiques à se pencher complaisamment sur ces cultures d’ailleurs.

Je me permets de citer l’extrait d’un article de Chivain paru dans Offensive N°29 paru en mars 2011, un texte intitulé : les « Cultures urbaines » au secours de la paix sociale, qui éclaire bien ces politiques… :
Le terme [cultures urbaines] est apparu dans les circulaires des administrations dans les années 80 et 90, avec le dispositif du « contrat de ville », un contrat entre l’État et les collectivités locales mis en place par le socialiste Lionel Jospin, qui sous couvert de « lutte contre la ségrégation urbaine et sociale », consistait en fait à calmer le jeu dans certains quartiers jugés trop agités. Ce n’est pas un hasard si culture et urbanisme étaient des axes majeurs de ce dispositif. Ce que les collectivités ont choisi de nommer « cultures urbaines » est un processus qui, en triant, rationalisant, institutionnalisant, voire professionnalisant des pratiques dérangeantes, vise à garder le contrôle de la ville.
L’appellation « cultures urbaines », qui relève donc d’une stratégie de communication, permet d’évacuer toute dimension politique. Exit la « culture de rue », trop péjorative, et la « culture de classe », qu’on voudrait nous présenter comme désuète. Avec les «cultures urbaines», on aurait uniquement affaire à une culture de loisirs… Ce vocable institutionnel accompagne une politique visant à garder le contrôle des gestes, de la parole et de l’espace. […]
Dans ce processus de réglementation, une « Fédération » et un « Observatoire national des Cultures Urbaines » ont même été créés, avec la volonté ridicule mais dangereuse de mettre en place des « chartes » et des « labels qualité cultures urbaines », à la manière de la nourriture bio.
Par ailleurs, il est intéressant de se pencher sur le rapport de la mission « culture urbaines » de 2007, adressé au ministre de l’époque, le très « proche du peuple » Renaud Donnedieu de Vabres. […] Ce rapport préconise des mesures bien concrètes, comme le fait de nommer des experts en cultures urbaines, au sein des DRAC, qui seraient chargés de « dialoguer avec les artistes et contribuer à la promotion des meilleurs d’entre eux ». On y évoque aussi la création d’une « Fondation hip-hop » alimentée par des fonds privés « qui réunirait les sociétés désireuses de valoriser les cultures urbaines auxquelles les Français-e-s se montrent réceptifs ».[…]
Comment fonctionne ce processus d’acceptabilité ? En ne gardant que la dimension esthétique du hip-hop, les marchand-e-s le rendent tolérable. Plus rien n’est politique, et tout est potentiellement « culturel ». En d’autres termes, d’un coup de matraque magique, il n’y a plus ni antagonisme, ni domination, ni répression. Comme si racisme et classisme ne planaient pas en permanence sur le rap. Comme si les tageurs-euses pris-e-s en flagrant délit recevaient les le même traitement que les infractions au code de la route. Tout le monde devient ami-e-s. Tout le monde devient acteur ou actrice d’un monde d’un spectacle étrange, dont la niaiserie souriante égale sans peine la pièce de théâtre de fin d’année de l’école primaire.

On comprend que pour l’État l’enjeu est double : désamorcer la violence et la subversion que des formes d’art marginales peuvent manifester ; récupérer ces formes d’art pour mieux les contrôler et en donner une version acceptable, édulcorée, pour les classes moyennes.


Parallèlement à la tentative de coller des étiquettes à des formes d’art pour les rendre tolérables, les pouvoirs publics doivent aussi rendre accessibles des pratiques artistiques institutionnalisées et officielles : l’art exposé dans les musées.

Il y a un constat d’insatisfaction, fait par tous les observateurs des pratiques culturelles depuis 50 ans : l’art des musées et des galeries, l’art des salles de théâtre et d’opéras, intéresse surtout les classes supérieures.

J’ose un postulat très simple. Les gens ne boudent pas l’art vivant, l’art qu’ils font eux-mêmes, l’art des artistes qui jouent parmi eux, ils ne boudent pas l’art qui s’adresse à eux et qui passe par des circuits locaux, autogérés, à la portée de tous. Ils ne boudent même pas l’art payant, s’il les touche, si l’enjeu artistique les concerne. Les orchestres de quartiers, la tradition orphéoniste, les artistes de festivals locaux, les peintres de kermesses, le théâtre de rue : ces formes d’art offrent quelque chose d’accessible, de direct, sans autre visée que d’être perçues et propagées par ceux qui les apprécient. Par contre, parfois les gens boudent l’art qui s’expose dans les circuits officiels, les lieux institutionnels, sans doute parce que l’art qui s’y expose leur a été dérobé. Le sentiment qu’ils expriment est celui-là : cet art-là ne leur appartient pas, il n’est pas fait pour eux. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le résultat d’enquêtes faites auprès du public. En résumé, ce que boudent beaucoup de gens, ce n’est pas l’art lui-même ; c’est le lieu où il est exposé, le moyen par lequel il est diffusé : ce n’est pas l’art, c’est son média.

Pour l’État, il n’est pas question de remettre en cause les lieux ni des circuits par lesquels l’art se diffuse. Il ne s’agit pas de changer le média: il s’agit de changer l’image de ce média.

Pour que le média« musée » soit plus accessible, on fait une campagne pour donner au site une image attrayante. Ainsi certains établissements muséaux ont lancé des campagnes de pub branchées, des opérations commerciales basés sur une image dynamique, moderne, sur le mode blockbuster (« le musée d’Orsay : de l’aventure, de l’émotion, de l’action »…). La loi sur le mécénat de 2003, suivie de plusieurs mesures du même goût, ont favorisé l’implication du secteur industriel dans les politiques culturelles, avec pour conséquence qu’il devenait de plus en plus nécessaire, pour les structures publiques, de séduire ces investisseurs. Depuis la fin des années 90, de nombreux établissements culturels sont devenus des EPIC (établissements à caractère industriels et commerciaux), tel l’Opéra de Paris, la Comédie-Française, plus récemment le Grand Palais. Décisions stratégiques risquées, car on court le risque de réduire les lieux culturels à des décors de bons gros divertissements.

Ces changements ont lieu dans un contexte où il est de bon ton de se montrer proche du peuple, accessible, du moins en apparence.


Le rapport « Culture pour chacun » fut symptomatique de ce contexte.

Arrêtons-nous sur la notion « d’élitisme». Que signifie l’élitisme pour Pfister et Lacloche, les auteurs du rapport ? Pas un « système soucieux d’exigence et de qualité », donc pas comme l’entendait Antoine Vitez quand il parlait d’élitisme pour tous. « L’élitisme pour tous », c’est un idéal d’exigence pour tous, dans une société où les pratiques culturelles et artistiques sont accessibles à toutes les catégories sociales de publics.

Pour les pouvoirs publics, l’élitisme est autre chose, c’est un obstacle, car ce qui est perçu comme élitiste rebute certaines catégories sociales. Le Ministère de la culture le disait déjà en 1999 sur son site : « Pour certaines catégories sociales, le musée ou le monument historique apparaissent comme quelque chose d'étranger, le lieu d'une "culture élitiste", trop éloigné de leurs préoccupations quotidiennes »

Élitiste, c’est ce qui est contre le peuple, c’est ce qui l’intimide. Pour Pfister et Lacloche, il faut désormais « prétendre à ce que la culture soit perçue comme un outil politique de lien social à destination de chacun et ne soit plus simplement comme une ‘culture élitaire pour tous’ ». ce qui démontre encore qu’ici, il n’est pas question de changer le média de diffusion de l’art, il suffit d’en changer la perception auprès du bon peuple.

Mais Pfister et Lacloche amalgament élitisme, l’exigence et à l’excellence : ils font ainsi de l’exigence et de l’excellence des obstacles. C’est le sens de ce paragraphe : « Le véritable obstacle à une politique de démocratisation culturelle, c’est la culture elle-même. Une certaine idée de la culture, répandue dans les composantes les plus diverses de la société, conduit, sous couvert d’exigence et d’excellence, à un processus d’intimidation sociale. »

Il faudra préférer la simplicité, le vide artistique, le popu à tout prix, quitte à être moins exigent et moins excellent, pour atteindre le plus grand nombre. Robert Hossein ; les spectacles musicaux de Pascal Obispo ; la sensation soul de l’été ; les installations de Jeff Koons à Versailles pour montrer qu’on n’est pas élitiste ; le futur Napoléonland en Seine-et-Marne ; des expositions opportunes pour draguer les pays en affaires avec la France, telle « la Cité Interdite au Louvre » conçue pour faire du gringue à Hu Jintao ; Lenny Kravitz décoré chevalier des arts et lettres par Frédéric Mitterrand.

Tous les citoyens sont des consommateurs potentiels de produits culturels ; il faut donc élargir les publics-cibles. Contre l’élitisme, soyons indigents.



En conclusion

Au début, je posais la question : comment des structures publiques, théoriquement neutres et sans enjeux commerciaux, peuvent-elles devenir si viles et si serviles face aux industries et aux actionnaires ? Dans un contexte où l'on doit satisfaire des objectifs immédiats de rentabilité et de nombre d'usagers, il est naturel qu'un rapport commandé par un ministère se fasse l'écho des vues à court terme des hommes qui sont à la tête du ministère.

Ces choses arrivent dans d’autres ministères. Les rapports commandés par le Ministère de l’intérieur, disant la nécessité de déceler les signes de délinquances à partir de 3 ans ou établissant le coût trop élevé de l’immigration. Le Livre blanc de JM Silicani, commandé en 2008 par E. Woerth, Ministre de la fonction publique, et qui préconise des recrutements sur profil et des contrats de droit privé ; l’audit-flash commandé par le Ministère du budget à F. Miquel pour justifier la RGPP ; le rapport Chadelat en 2003 sur la Sécurité sociale pour confier certaines activités de l’assurance-maladie aux assurances privées. Ces rapports commandés, qui proposent des visées à court terme, sont purement conjoncturels ; ils servent avant tout un discours, une campagne politique, plus que l’intérêt général. Ils sont dictés par la même volonté de servir les entreprises privées et de diminuer la capacité d’action des citoyens-consommateurs.

Les élus et les hauts fonctionnaires nommés, soumis aux mêmes affects que n’importe qui, défendant leurs intérêts au comme chacun, doivent sans cesse résoudre le dilemme : vais-je servir l’intérêt général avant tout, ou bien user d’artifices et de servir la soupe à ceux qui m’ont hissé à cette place ? Il est parfois plus facile d’user d’artifices pour convaincre du bien fondé d’une action purement opportuniste, fut-ce à travers de coûteuses opérations de com’, que d’inventer un projet courageux et porteur de progrès. Mais le courage et la bienveillance sont nécessaires à l’exercice démocratique pour que la démocratie ne soit pas réduite au suffrage universel.




(16) Comme on l’a vu plus haut, les grands groupes aiment le mécénat, qui leur coûte peu (exonérations partielle d’impôts) et améliore leur image de marque. Les administrations publiques sont sommées de draguer ces grands groupes pour pouvoir assurer leur survie, quitte à dévoyer leurs missions. Répétons-le : ici et là, l’État prévoit d’assujettir la politique publique aux exigences des entreprises.

(17) D’où l’usage des slogans : « EDF, changer l’énergie ensemble », « Bougez avec la Poste », et avec Véolia, « L'environnement est un défi industriel ».

(18) comme l’a fait le gouvernement lorsqu’il s’est heurté au peuple, notamment lors de la réforme des retraites, des expulsions d’immigrés, du projet de bouclier fiscal ou de « l’affaire Woerth ».

(19) Les directions des établissements publics modifient peu à peu le profil de leurs personnels ; grâce à d’habiles transferts de lignes budgétaires et pour répondre à des critères de ‘performances’, elles recrutent désormais des étudiants, des contractuels, sur de courtes durées. Les vacataires, les contractuels d’établissement ou les salariés du privé n’apparaissent plus dans la masse salariale ; ils sont payés sur les budgets de fonctionnements, alimentés notamment par les ressources propres. Moins impliqués et moins formés, mais rendus dociles par la peur du lendemain, ils présentent des avantages : ils renvoient une image « jeune et dynamique » plus attractive. Et dans le cas des vacataires, ils sont aussi moins chers.

(20) Management : terme anglo-saxon désignant le contrôle, le maniement des ressources humaines, dans un souci d'efficacité, de rentabilité. En français, ce n'est rien d'autre que la gestion. Mais le terme management plaît davantage à certains chefs, car il évoque le rôle de chef, la modernité à l'américaine et la « culture » d'entreprise. Sur les nouvelles méthodes de management et leurs effets pervers, lire l’article de Miguel Benasayag paru dans Le Monde du 30 mai 2011.

(21) Cf décret n°2007-1365 du 17 septembre 2007, à propos de l’évaluation et de l’entretien professionnel. Lors de l’évaluation annuelle des fonctionnaires, chaque agent doit désormais se fixer des objectifs, et les atteindre l’année suivante, ce qui conditionne l’appréciation que lui fait sa hiérarchie.

(22) La révision générale des politiques publiques (RGPP) prévoie le non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux pour officiellement diminuer les déficits publics. Or, les besoins liés au service public ne diminuent pas. Ainsi dans les musées ou les bibliothèques, qui doivent faire du chiffre avec moins de moyens humains mais usent davantage d’outils techniques coûteux, de logiciels de gestions et d’audits externes.

La RGPP entraîne le sous-effectif et la détérioration des conditions de travail. Les établissements, soumis à des critères de performance, sont sommés, secteur par secteur, d’externaliser leurs missions, de moderniser et de réduire les frais : Il s’agit de« rationaliser les fonctions finances, paye, pensions, achats et immobilier », comme dit le rapport d’étape du 13 mai 2009

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