5 septembre 2012

La doxa du PS (2) - Mitterrand ou les mutations du socialisme français.


* * *  Ce texte explique comment le PS des années 1980, à défaut de se confronter aux enjeux politiques de son temps, s'est forgé une stratégie de communication.
Suite de la 1ère partie : "le pouvoir face à l'immigration"

 

A la fin des années 70, la droite, qui monopolisait la vie politique, était de plus en plus contestée : le chômage augmentait et la dette pointait son nez ; la politique culturelle flanchait dans sa mission de faire « rayonner » la France et de démocratiser les savoirs ; la censure morale menée par les pouvoirs publics était mal vécue par des gens en pleine libération des mœurs, avides de nouvelles formes d’expressions et de sociétés. De plus, l’immigration commençait à poser de nombreuses questions, auxquelles les pouvoirs publics ne donnaient aucune réponse significative.
Pour les mouvements de gauche, il y avait tant de choses verrouillées, tant de mesures rétrogrades, tant d’exclusion à dénoncer ! Pour l’opposition socialiste, dans son rôle de contre-pouvoir, il fallait trouver une vraie légitimité comme contre-pouvoir : il y avait tant à faire, à bousculer... rhâa, c’était bandant, c'était énorme ! 
  Construire un programme d’alternative devait signifier : faire admettre la richesse cosmopolite de la France et l'apport réel des migrations ; proposer une action culturelle en phase avec les nouvelles mentalités ; lutter contre la logique capitaliste ; poser les bases d'une meilleure cohésion sociale, le tout en accord avec l’évolution des mentalités. Bref, proposer quelque chose de nouveau et d'enthousiasmant. Mitterrand avait fait campagne sur une liste de 110 propositions. Notamment : garantir une meilleure cohésion sociale grâce à une politique de l'emploi, développer les services publics, redistribuer équitablement les richesses produites, contraindre les lobbies industriels et financiers, organiser un référendum sur l’énergie nucléaire, rompre pour de vrai avec les années précédentes gouvernées par la droite... Le volet immigration avait sa place, avec pour priorités, notamment, l’accès à des logements décents, la fin des discriminations, l’égalité des droits.

Puis le PS conquit le pouvoir. 
Rapidement, le gouvernement Mauroy mit en œuvre les mesures citées plus haut. Puis tout aussi rapidement, ce gouvernement fit le choix de la realpolitik [1], et se soumit aux « partenaires » de la finance, de l’industrie et de l’Europe libérale [2]. Un virage à droite, donc, qui poussa le PCF à refuser de figurer en 1984 dans le nouveau gouvernement Fabius. Les 110 propositions du PS furent une source d’espoir puis de déception, comme le montre le livre (pourtant indulgent) de Laurent Mauduit, les 110 propositions : 1981 - 2011, qui en fait le bilan critique. Après un début de septennat prometteur, 1982 connut un retour aux privatisations, des diminutions de la masse salariale, des garanties croissantes données au patronat, un maintien de l’opacité quant à l’exercice du pouvoir – en un mot, un écart croissant entre les revenus et le capital... A ce train-là, la gauche, rejoignant la droite sur le plan économique, ne pouvait pas être crédible très longtemps. Le Parti socialiste montrait qu’il protégeait des intérêts bourgeois. Après s’être fait qualifier de social traître, le parti était carrément moqué comme celui de la « gauche caviar » !
La conversion à la rigueur concernait également l’immigration. Le PS s’était pourtant montré plein de bonne volonté en montrant sa solidarité avec les émigrés, en promettant de les intégrer, de leur offrir du travail décent, des moyens de résidence, etc. Le parti voulait aussi tordre le coup aux préjugés racistes . Le discours qu’il tenait était que l’immigration, non seulement n’étaient pas un danger pour la nation, mais, selon le titre du livre de Bernard Stasi (1930 – 2011), l’immigration était aussi « une chance pour la France » [3]. François Mitterrand revendiquait d’ailleurs lui aussi cette diversité des origines [4].
Après l’élection de Mitterrand, fini de rêver. Le droit de vote des immigrés aux municipales, proposition du candidat Mitterrand, fut mis au placard. Le droit au logement, la suppression des discriminations à l’embauche, etc., furent attendus en vain. Les forces de l’ordre gardaient une attitude hostile face aux étrangers, protégés qu’ils étaient par les mêmes préfets et le même appareil juridique. L’expression « délit de faciès » est apparue à cette époque.

Dès lors, il fallait sauver les apparences pour sauver la crédibilité du PS, et diffuser une image de marque socialiste. La plus grande préoccupation du pouvoir PS a donc été une stratégie de communication.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhp4P9K5JYrtr9F4MpuTnnWe5sd_daajlyklAMn4Ot8yfqVNJeJXCpDLtpfgs0yqLKPnyln32R5f0ofSJF3G5tD7SREG1bekyKnse-x4yfhV6f_r4LS0Zp3kFi1xeCRsQXTiWZSYS-Kv2s/s1600/valeurs-socialistes.jpgMontrer que la gauche PS n'était pas la droite (jamais, jamais, jamais !) montrer que le PS s'opposait à la droite, et à ceux qui demandaient en quoi le PS était de gauche, répondre qu'il était contre la droite.
(qui a dit "tout contre" ?)
La gauche se dotait donc, avant tout, d'une identité par défaut, en négatif de la droite.

Passé 1983, le gouvernement PS, épousant avec souplesse les tendances libérales et consuméristes, n'avait pas de véritable programme social. C'est si vrai que ses principaux slogans n’ont jamais été "nationalisation des moyens de production", mais plutôt "au secours la droite revient !". Déjà en 1974, Mitterrand avait fait placarder : « la seule idée de la droite, garder le pouvoir ; mon premier projet, vous le rendre ». Oui, c'est-à-dire ?
Comme disait Patrick Font et Philippe Val sur les planches en 1980, la seule raison de se réjouir d'une victoire de la gauche, c'était que ça signifiait une défaite de la droite.

Le PS, pour sa survie, s’est doté d’une stratégie de communication : un ensemble d’images, de vocabulaire et de postures, qui tenait lieu de vision du monde... et qui permettait de ne plus parler d’idéaux, d’utopies et autres grossièretés.
Nous tenterons prochainement de cerner cette stratégie de comm’ qui a permis au PS de bâtir une image pouvant pénétrer les mentalités et de se présenter, jusqu’aujourd’hui, comme une alternative légitime.[5]




[1]     « Nous, élus des années 1980, sommes collectivement coupables d'avoir participé à un jeu politique perverti. Combien exprimèrent-ils leur réprobation d'une politique contraire aux principes affichés ? Que sont devenues les mœurs politiques et les principes républicains censés les régir ? Et la liberté de penser ? Les citoyens ont trop vite et trop bien intégré l'idée qu'aucune autre politique n'est possible. Il fallait se soumettre au nouvel ordre mondial. Certains jugeront le terme de vassalité excessif. Il m'arrive de le trouver trop faible. »
            André Bellon, in : Une nouvelle vassalité : Contribution à une histoire politique des années 1980 – éd. 1001 nuits, 2007

[2]     Deux sites proposent chacun une lecture de ce tournant :
De la relance à la rigueur : La Banque de France et le début de l’ère Mitterrand (1981-1983) :
Et aussi : « Mitterrand : de l'Etat de grâce au tournant de la rigueur (1981-1986) » : http://www.politique.net/2008030701-mitterrand-etat-de-grace-tournant-de-la-rigueur.htm

[3]    Bernard Stasi : L'Immigration, une chance pour la France, Robert Laffont, 1984.
B. Stasi était issu du centre-gauche. Ancien député de la Marne, maire d’Epernay, il était aussi un farouche adversaire des racistes et du FN en particulier.


[4]     François Mitterrand : « Nous sommes français, nos ancêtres les gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un petit peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être qui sait polonais, et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes ? ». Allocution prononcée à l’occasion du colloque sur "la pluralité des cultures", à la Sorbonne le 18 mai 1987.

[5]     Soyons clair. Il ne sera pas question de dire en quoi la droite se démarque de ces stratégies ; au contraire, la droite actuelle n'a pas opéré de rupture avec ce système « discours social / action libérale » : elle l'a même parfaitement intégré à ses stratégies de comm’, en promettant des mesures « en faveur des plus humbles », pour mieux écraser ceux-ci par la suite par des mesures antisociales.

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