12 novembre 2011

Culture pour chacun pour soi (3) – l’enterrement.



(Cet article fait suite à deux autres, sur la Culture pour chacun :

Le rapport « Culture pour chacun » publié en septembre 2010 fut rédigé par deux conseillers ministériels, (Guillaume Pfister et Francis Lacloche, qui pour l’occasion se firent valets de l’industrie culturelle). Il fut tellement critiqué par les acteurs des milieux culturels, par des personnalités politiques, par des citoyens en colère, qu’il est aujourd’hui caduc. Poubelle. Le Ministre de la culture Frédéric Mitterrand tenta, de noyer le poisson, de choyer les passions, par un autre projet appelé « culture pour tous, culture pour chacun, cultures partagées », sans gagner en crédibilité. 
Le Ministre est désormais vu comme un pantin sans idées viables, ayant pour principale préoccupation de redorer le blason de son portefeuille ministériel. Une tendance « qui a parfois conduit la Rue de Valois à trop se livrer aux seuls délices de la communication et à devenir un singulier ‘magistère de la culture’ », comme l’a dit dans le Figaro Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture. Jacques Drillon dans le Nouvel observateur a vu en Frédéric Mitterrand l’incarnation de l’homo festivus, figure conceptualisée par Philippe Muray, et « une sorte de Paris-Plage fait homme ».

Le rapport pondu est plein ras la gueule de la doctrine libérale : les orientations culturelles de l’État devront servir le marché du divertissement et des loisirs. Comme on l’a vu, les auteurs du rapport se fondent sur des discours, des études, des rapports ministériels, des recherches universitaires... Sauf qu’ils n’hésitent pas à en dévoyer le propos, pour coller au plus près des préconisations des secteurs commerciaux (voir le rapport d’Elise Longuet).

Les auteurs du rapport « Culture pour chacun » tentent de se légitimer en citant Malraux, et son discours prononcé le 27 octobre 1966 à l’assemblée nationale : « Dans l’un des cas, il s’agit, en aidant tout le monde, de faire que tout le monde aille dans le même sens – dans l’autre cas, il s’agit que tous ceux qui veulent une chose à laquelle ils ont droit puissent l’obtenir. Je le dis clairement : nous tentons la culture pour chacun. ».
Mais Pfister et Lacloche prêtent à Malraux des intentions qu’il n’avait pas, et nous servent le constat suivant, embrouillé et obscur :
« Depuis, la démocratisation culturelle et plus encore, la démocratie culturelle, ont été revendiquées par chaque ministre de la culture. Malgré de louables efforts et souvent d’excellentes initiatives1, le temps a manqué à la majorité d’entre eux pour que le ministère puisse réellement construire ce que Jacques Levy appelle un rapport au monde, commun aux membres d’une communauté.
Si, dans la continuité de cette approche, on définit la culture comme constitutive du rapport social en ce qu’elle est fondamentalement rapport au monde et mise en commun au sein d’un groupe social, alors l’enjeu de la culture pour chacun est non seulement une exigence fondamentale de l’action publique mais, en temps de crise, une absolue priorité. Démocratiser la culture ce n’est plus aujourd’hui simplement amener la culture aux populations mais les impliquer dans un processus actif d’appropriation et de création visant à l’émergence de ce rapport social. »

Par cette prose emmêlée et boursouflée, les auteurs définissent la culture comme « constitutive du rapport social », « rapport au monde » sans expliquer ce qu’ils entendent par là ; et sans aucune définition ni explication, ils assènent que la priorité en temps de crise doit être la « culture pour chacun ». Emballé-pesé, et si cela vous paraît flou, démerdez-vous. Cependant, ils n’oublient pas de faire une promesse séduisante : impliquer les populations dans « un processus d’appropriation et de création ». Mais on verra ici que ce qui est préconisé par les auteurs va à l’encontre de l’appropriation de la culture telle que l’entendaient Vitez, Malraux et les initiateurs de l’éducation populaire…

Après une louange des précédentes opérations que les pouvoirs publics ont menées pour attirer les foules, le rapport aborde les deux objectifs du ministère, dans une stratégie « redéfinissant dans sa globalité l’inclination du Ministère » (sic !). Il s’agit :
- de s’attaquer à l’intimidation sociale, concept qui légitime la diffusion des programmes populaires, suffisamment divertissants pour qu’ils ne puissent intimider personne, même s’ils ne sont plus culturels.
- d’affirmer la diversité des modes d’expression, vœu pieu de l’action culturelle depuis des décennies.
Pour poursuivre ces deux objectifs, les pouvoirs publics jouent de flatterie et de séduction afin d’afficher leur volonté de ne pas paraître élitiste.

Plutôt que d’entrer dans les détails du rapport, revenons sur les analyses critiques faites par d’autres : citoyens militants, syndicalistes, acteurs de la culture ou du monde politique. Ces nombreuses voix qui se sont fait entendre, ces nombreux acteurs qui ont organisé blocages et rassemblements pour démystifier cette entreprise, jusqu’en Avignon durant l’été 2011.
Ce sont ces prises de positions qui ont permis à la population de lire le rapport entre les lignes et d’en comprendre les enjeux réels.


Le projet était à l’agonie, il fallait l’achever !

Au sein des institutions politiques d’abord, ça a bien grondé. Fin 2010, l’opposition au sein de l’Assemblée nationale déplorait aussi le manque de moyens apportés aux politiques culturelles, alors même que le ministère vantait les objectifs affichés de la Culture pour chacun. Marie-Odile Bouillé, députée PS, a ainsi attaqué les aspects du Projet de loi de finances pour 2011, dans un Avis présenté à l'Assemblée Nationale le 14 octobre 2010 :
« La totalité des anciennes actions ‘patrimoine écrit’ et ‘patrimoine cinématographique’ du programme ‘Patrimoines’, la totalité de l’ancienne action «livre et lecture» du programme ‘Création’ et la majeure partie de l’ancienne action ‘industries culturelles’ du programme ‘Création’, ainsi qu’une partie des crédits centraux et déconcentrés consacrés au livre au sein des actions ‘enseignement supérieur’, ‘éducation artistique et culturelle’ et ‘accès à la culture’ du programme ‘Transmission des savoirs et démocratisation de la culture’ ont été transférés vers le nouveau programme ‘Médias et industries culturelles’ ». (16)

Elle note l’infaisabilité des projets Culture pour chacun, du fait des réductions budgétaires. Attention, ici, on parle chiffres :
« S’agissant du programme « Transmission des savoirs », le tableau est sombre, les crédits de paiement sont en forte baisse (- 7,57 %) alors que le programme est déjà mis à mal depuis plusieurs années. Cette baisse s’explique selon le ministère par le transfert de crédits vers le Centre national du cinéma et de l’image animée. (…). Les autorisations d’engagement sont elles aussi en baisse à - 2,85 % alors même que le ministre a fait de la « culture pour chacun » son cheval de bataille. »
Elle fait référence au rapport n° 2823 de programmation des finances publiques 2011 - 2014 :
L’objectif de maîtrise des dépenses et de réduction de l’emploi public reste une priorité sur la période 2011-2013 pour les opérateurs de la mission, qui appliqueront les règles de non- remplacement d’un départ à la retraite sur deux et de réduction des dépenses de fonctionnement de 5 % dès 2011. Cet effort doit se traduire par une diminution de 297 équivalents temps plein à horizon 2013.

Après avoir énuméré les baisses de financement pour le spectacle vivant en 2011 ou pour le programme création d’ici à 2013, Marie-Odile Bouillé rappelle surtout les très fortes baisses de crédits vers les collectivités territoriales :
« En nombre de bénéficiaires, les plus touchés cette année sont les festivals (-61,02 %), du fait du recentrage du ministère sur les festivals plus importants, au détriment d’une politique d’aménagement culturel du territoire ambitieuse. Les scènes de musiques actuelles sont également très touchées (- 45,86 %) suivies par les orchestres permanents (- 13,64 %). En  termes budgétaires, les scènes de musiques actuelles perdent plus de 26 % de leurs crédits, les festivals un peu plus de 5 % et les scènes conventionnées 4 %. À l’inverse, on saupoudre les crédits à destination des lieux de création et de diffusion non labellisés avec une hausse de plus de 78 % des bénéficiaires pour des crédits en baisse de 0,27 %. La subvention moyenne de ces structures passe ainsi de 140 606 euros en 2010 à 78 720 euros en 2011 ! Les collectivités locales devront-elles compenser le différentiel ? »

Alors que le rapport CPC se drape dans la volonté de démocratisation, Marie-Odile Bouillé relève l’ironie de la baisse du crédit pour le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » : celui-ci « sera doté de 471,98 millions d’euros en autorisations d’engagement (- 2,85 % par rapport à 2010) et 433,11 millions d’euros en crédits de paiement (- 7,57 %) ».
D’où une cruciale question : « Comment parler de démocratisation de la culture et développer une véritable politique d’aménagement culturel du territoire sans ses structures ? Comment seront-elles demain financées ? »


Jerome Bouet, Inspecteur général des Affaires culturelles, publiait en octobre 2010 un autre rapport qui prenait le contre-pied de la Culture pour chacun, « 21 propositions pour relancer le partenariat entre l’Etat et les collectivités territoriales dans le domaine culturel. »  M. Bouet y expliquait que la charge sonnée par la « Culture pour chacun » contre la démocratisation de la culture était infondée :
« Le ministre a placé son action sous l'emblème de «la culture pour chacun». Dans la lettre de mission à l'auteur du présent rapport, il indique que «l'action de l'État comme la coopération avec les collectivités territoriales doivent être placées sous le signe de l'ambition démocratique et du partage de la culture au bénéfice du plus grand nombre ». (…)
« Le jugement porté sur le travail accompli en la matière depuis 30 ans paraît inutilement sévère. On ne devrait pas sous-estimer les résultats obtenus. Ce qui manque, c'est la circulation d'information sur les bonnes pratiques. Dans le cadre de la politique de la ville par exemple, le principe de la diversité culturelle a été mis en oeuvre avec beaucoup de profit. » (…)
« Les institutions culturelles ont beaucoup investi pour attirer de nouveaux publics, développer la médiation, l'action vers le milieu scolaire ou inventer de nouvelles formes de propositions artistiques. Un grand nombre de professionnels et d'artistes se sont mobilisés. »

M. Bouet insistait sur l’importance de l’action territoriale à mener : l’action des DRAC — que le pouvoir en place démantèle peu à peu ; les « politiques de la ville » ou celles menée en milieu rural ; le nécessaire dialogue avec les institutions subventionnées. Tout cela est indispensable à cette démocratisation dont le gouvernement voudrait sonner le glas.


La société civile monte au filet

Jean-Pierre Vincent fut, de 1975 à 2001, directeur du Théâtre national de Strasbourg, de la Comédie-Française et du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Il publia une tribune pour le SYNDEAC "défense de l'art pour tous" dans Le Monde du 8 décembre 2010.
Il y démêle le vieil amalgame entre « art » et « culture » — amalgame dont se nourrit le rapport, qui use avec abus du terme « culture » sans jamais parler d’art :
« Le mot "culture" est d'un emploi délicat. Sa polysémie finit par le rendre flou. Il se présente ici dans l'acception inaugurée par André Malraux - le texte se réfère à son discours de 1966 pour présenter son budget à l'Assemblée. André Malraux ne pouvait pas nommer son ministère d'Etat "ministère de l'art" (encore moins des "beaux-arts"). Pour le Général, cela n'aurait pas fait sérieux. La claire ambition à l'époque était la diffusion la plus large possible dans le corps social de la création et du patrimoine artistiques. Cette orientation venait en droite ligne du programme du Conseil national de la résistance : plus jamais ça, plus jamais la présence de la bêtise meurtrière au pouvoir, plus jamais le déshonneur culturel.
(…) Ce glissement entre art et culture a été la source ultérieure de bien des confusions. Dans son discours, André Malraux parlait d'art et de République. On cherche ces mots dans le programme ministériel d'aujourd'hui. "Culture" est devenue bien souvent, à droite comme à gauche, un prétexte pour ne plus parler de l'art et de sa fonction éclairante, libératoire. »

Le rapport « Culture pour chacun » s’oppose à l’idée que Malraux se faisait du communisme, qui tentait, « en aidant tout le monde, de faire que tout le monde aille dans le même sens ». M. Vincent revient sur ce préjugé :
« A-t-il jamais été question d'enfourner une culture de masse uniformisée dans les têtes des Français ? Nos messieurs feignent d'identifier là un danger collectiviste persistant. Curieux phénomène : les régimes communistes ont certes échoué, mais l'anticommunisme se vend toujours bien...
La "culture pour chacun" est une modulation de la fameuse RGPP, réforme générale des politiques publiques. Il s'agit de "réformer" (rationaliser, réduire les coûts, simplifier la tâche de la caste dirigeante) tout ce qui est ou a été "politique publique" (…). L'essentiel est de rabâcher : "La démocratisation culturelle a échoué". "La culture est le principal ennemi de la culture". "L'art a un effet d'intimidation sociale"... Les poubelles de la médiocrité sont ici activement recyclées. »

Verdict :
« L'effet réel de ce micmac pour chacun serait de créer une culture à deux vitesses : que les riches retrouvent leurs aises à l'Opéra et dans les lieux privilégiés, et qu'on organise partout des stages et des festivals de hip-hop et de slam et des défilés de géants. Les artistes eux, créateurs ou interprètes, et leurs amis animateurs, techniciens, sont bons pour la poubelle de l'Histoire, avec André Malraux par-dessus, malgré l'hommage hypocrite à lui rendu. »


Moins enthousiaste sur les réussites de la démocratisation culturelle, André Rouillé, Maître de conférences en Art, philosophie & esthétique à l’Université de Saint-Denis, a publié une tribune dans Paris-Art le 13 janvier 2011 : La culture par gros temps.
« la «culture pour tous», qui a scandé la vie culturelle française durant la deuxième moitié siècle dernier, reposait également sur une fiction. Une utopie. Mais elle était généreuse, voire œcuménique. Elle irradiait d'une ferveur démocratique et d'une croyance en les vertus d'une culture si assurée qu'elle se pensait universelle.
Dans un esprit républicain d'égalité et de fraternité, la «culture pour tous» envisageait pour le peuple le destin d'être uni, et pour ses membres celui de bénéficier tous des mêmes privilèges. (…)
Par une cynique inversion des valeurs, l'excellence n'est plus considérée comme un principe de rassemblement, d'unité et d'élévation du peuple, mais comme un facteur de division, de marginalisation, d'«intimidation sociale» qui frapperait «ces groupes sociaux exilés d'une culture officielle trop éloignée de leurs modes d'existence»
Les utopies ont fait place au pragmatisme! L'ambition n'est plus d'élever «chacun» au-dessus de sa condition pour l'intégrer à la communauté de «tous». L'objectif est au contraire de maintenir «chacun» dans les limites restreintes de sa culture et de ses savoirs, quitte à procéder à une «mutation des frontières du champ culturel» en intégrant en son sein une «culture populaire» réduite aux pratiques «amateurs», «urbaines» et «spontanées» » (…)
« L’extravagante notion d'«intimidation sociale» imputée à la «culture pour tous» dans le but de masquer que les causes véritables de la rupture du lien social sont ailleurs, dans les multiples formes d'exclusion, de discrimination et de répression. »


Le 4 février 2011, le Ministère a organisé un forum à La Villette à Paris, forum ayant réuni un petit nombre de convaincus à la gloire des slogans vides de la Culture pour chacun. Ce jour-là, Marie-José Sirach publiait dans l’Humanité « La culture pour chacun, aux vents mauvais du libéralisme ».
« Il ne s’agit plus de “rendre populaire” mais de faire accéder le populaire au rang d’intérêts culturels de notre patrimoine et de la création française ». Dès lors, on glisse « d’une culture pour tous invitant la société à adhérer à un consensus intellectuel (…) vers une culture pour chacun entendant reconnaître la diversité de la culture, des cultures ».
« Le travail en direction du public, des plus jeunes en partenariat avec l’éducation nationale, est la preuve d’une indéniable volonté de rendre accessible au plus grand nombre les choses de l’esprit. Cette réalité-là, ce constat partagé par l’ensemble des professionnels sur le terrain, à l’exception notable du ministère, est le fruit d’une politique imaginée par des hommes qui avaient une haute idée de la culture et de l’art. Il semble bien, de nos jours, que seuls des comptables élevés au libéralisme décident de tout et surtout de saborder des outils qui ont fait leurs preuves. Ici, on compresse au nom de la RGPP. Là, on gèle les subventions, fragilisant encore plus une économie sous perfusion. Et la palme du cynisme ne revient-elle pas au Monsieur Culture de l’Élysée, qui préconise “un retour à l’État modeste”… ? »

Marie-José Sirach rappellait la position du Syndéac défendue par Jean-Pierre Vincent (citée plus haut) : « la CPC est une mise en pratique, en idéologie, de la fameuse RGPP » !


A la suite du forum du 4 février, SUD Culture Solidaires publiait un communiqué. Le syndicat dénonçait la conception soutenue par Sarkozy en septembre 2008 (« la culture est indispensable au bon fonctionnement de l’économie capitaliste ») :
« Cette conception, c'est celle véhiculée par les industries médiatico-publicitaires, c'est la culture marchandisée, c'est la culture de marché qui pourra, du moins l'espèrent ses promoteurs, étendre à l'infini la consommation « de masse » des produits culturels formatés, selon les techniques éprouvées du marketing, pour offrir soit-disant à chacun ce dont il aurait besoin pour assouvir sa soif légitime de culture. (…)
La « culture pour chacun » est un concept pseudo racoleur et qui sent trop l'air du temps de l'identité nationale et de l'individualisme débridé. (…) Pour SUD Culture, en aucun cas la culture ne saurait être considérée comme ‘l'instrument’ de la constitution ‘d'un corps social unifié’ (sic !). »
Le syndicat concluait que « la garantie de la diversité culturelle, de l’équité territoriale et de conditions d’accès à la culture égales pour tous est le fondement de la politique culturelle à mettre en oeuvre. Celle-ci doit en effet se construire sur les bases suivantes :
* la prise en compte des pratiques artistiques dans leur diversité ;
* la démocratisation et le développement culturels au niveau local s’appuyant sur l’économie sociale et solidaire en partenariat avec les pouvoirs publics (État/collectivités territoriales). »

J’invite à retrouver ici l’analyse que SUD Culture avait publiée le 11 janvier 2011 sur la Culture pour chacun .


Quelques jours plus tôt, le 1er février 2011, le CIP-IDF (Collectif des Intermittents et des Précaires d’Île-de-France) appelait au blocage du forum par un texte éclairé et combatif, disponible sur leur site. On y lit :
« Quel rôle le Président de la République, le ministre de la Culture, l’auteur de la CPC donnent-ils à la culture ?
C’est d’abord et avant tout une culture dont les acteurs essentiels sont devenus les médiateurs, les prescripteurs, les programmateurs, les commissaires. C’est une culture où les artistes, les techniciens, les intermittents sont ignorés. Chacun de ces auteurs semblent soit ignorer le mot artistes (dans le programme de la CPC le mot art n’apparaît qu’une fois), soit déplorer leur trop grand nombre : « Vous lutterez contre les abus au régime d’indemnisation des artistes et techniciens du spectacle et inciterez les partenaires sociaux à limiter l’accès à ce régime aux professionnels et fonctions qui le justifient » (M. Sarkozy).
La culture pour eux est d’abord et avant tout une question de programmes dans tous les sens du terme : programme de gouvernement, programme d’investissement, programme de communication, programme éducatif, programme d’ordinateur, programme internet, programme de théâtre ou de chaînes télévisée. La culture est un problème de tuyaux qui permettent de réguler, diffuser, contrôler la distribution de produits artistiques. La CPC, c’est une usine à gaz distribuant les productions de l’industrie culturelle privée sous les lunettes de planificateurs Brejneviens.
C’est aussi une culture qui obéit avec une conviction aveugle à la doxa néo-libérale. Chacun est considéré comme un consommateur isolé, attaché à son ordinateur où il se régale de culture numérique. De là, il règle par carte bleue ses achats culturels, et n’est invité à ne sortir de chez lui que pour participer à des "modes de consommation démocratisés par des rendez-vous festifs et populaires", susceptibles d’être "des ferments de cohésion sociale". La culture est appelée à faire preuve de son utilité, c’est-à-dire à être instrumentalisée politiquement, pour ravauder un tissu social décousu par les politiques libérales mise en œuvre depuis des années. (…)
La CPC se veut populaire. Nous la croyons populiste. D’abord dans son bon gros usage de la dénonciation des élites culturelles et aussi dans son appel à la prise en compte des "pratiques culturelles spontanées" qui vont, on le comprend, du Hip-hop pour les habitants du 93 aux pastorales pour les provençaux. On remarquera que les production populaires semblent imaginées en tant que folklore fixé une fois pour toute, indexé à une population précise, et jamais en terme de contre-cultures inventées au jour le jour par des groupes susceptibles de s’auto-organiser.
Au fond, il s’agit d’occuper le peuple. (…)
Car si on veut dissoudre le vernis de semi vérités, de rétractations, de fausses confidences, dont sont confits les discours de nos gouvernants, il suffit d’observer leurs choix budgétaires.
Quiconque travaille dans des théâtres, des plateaux de tournages, ou sur d’autres lieux de la production artistique, sait que le financement de la culture est en baisse et particulièrement dans les domaines prétendument prioritaires par les auteurs de la CPC : par exemple pour le travail en zones sensibles, prison, hôpitaux, quartiers périphériques, mais aussi pour les projets atypiques, hors cadres, hors institution.
Tous les fonctionnaires du ministère de la Culture peuvent constater les dégâts occasionnés par les coupes budgétaires et l’application aveugle et idéologique de la RGPP. »


La démocratisation culturelle ne sera jamais menée ni même défendue par le Ministère en place. Ses projets sont tout autres. Si démocratisation il y a, elle est l’œuvre de ceux qui y travaillent sans forcément s’inscrire dans les « politiques culturelles ».
Voici ce qu’en disaient les militants du CIP-IDF :
« Qui a inventé, pratique, et vivifiera encore la démocratisation culturelle ? Des individus, des équipes qui, surtout en province, ont essaimé leurs utopies sur tout le territoire. Ces aventures artistiques (troupes de théâtre, cirques, associations de production vidéo, collectifs de théâtre de rue, groupes de musiques, compagnies de danse et tutti quanti) ont pollénisé le territoire. Certaines se sont métamorphosées en institutions, d’autres ont continué sur des chemins de traverse. Peu importe. Un modèle alternatif à la Culture (avec un grand K) était apparu. Ce modèle échappait aux experts, aux politiques, aux lois de l’économie libérale. (…)

Ce portrait de l’artiste en intermittent de l’emploi, susceptible de s’assembler librement en groupe artistique ou politique est l’image en négatif exacte du producteur asservi et du consommateur culturel passif rêvé par le ministre de la Culture. C’est son cauchemar.
La question n’est pas de savoir si la culture doit être pour tous, pour chacun ou partagée, voire les trois. 
La question est de savoir comment dans les années à venir sera entendu, diffusé, rémunéré, ce désir d’expression et d’émancipation de la société, comment enfin sera reconnue la culture fabriquée par tout un chacun, par tous et par chacun. »

« Culture pour chacun » est aujourd’hui obsolète… Mais même si les réformes préconisées par le rapport ne sont pas menées, il est important de saisir son idéologie. Car aujourd’hui, les mêmes partenaires économiques conseillent les mêmes cadres du ministère, pour initier le même type de mesures à venir !




(16) La DGMIC — Direction générale des médias et des industries culturelles — est le nouveau nom d’une entité créée en 2010, et qui rassemble deux anciennes directions, la Direction du Livre et de la Lecture et la Direction du développement des médias. Elle constitue désormais une des trois directions du Ministère de la Culture et ses missions ont une orientation plus libérale qu’auparavant, davantage tournées vers la prospection commerciale, le monde de l’entreprise, etc. La dénomination de cette direction, « Médias & industries culturelles », résume assez bien le virage amorcé.

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