21 juillet 2012

La doxa du PS (1) - les années 1980 : les nouveaux enjeux du pouvoir.

Les années Mitterrand ont ouvert la voie, non seulement à une politique dite socialiste, mais à un ensemble de proclamations, de vertus, de concepts : une doctrine. Pas une façon de penser, mais au contraire, une façon de ne pas penser : une façon de se comporter. 
La doctrine social-démocrate — la "doxa PS" —, fut la construction d'un ensemble de codes de discours et de comportement. Depuis, elle a pénétré toutes les catégories de population, tous les cercles de la société française. Journalisme, art, enseignement, administration, milieu associatif ; communication, modes de consommation, travail. Comment en est-on arrivé là ?

Les années Mitterrand, au tout début, c'est de nouvelles mesures sociales, davantage de congés payés et l’abaissement de l’âge de la retraite, la loi décisive de décentralisation, les grandes banques nationalisées, l’ISF, la dépénalisation de l’homosexualité, le remboursement de l’IVG par la sécu, les radios privées libres, le livre à prix fixe et la fin de la peine de mort (étrangement, c’est cette abolition qui reste dans les esprits comme symbole de l’ère socialiste).

Les années Mitterrand, c’est aussi le soutien (tardif) à la Marche pour l'égalité et contre le racisme (la marche des Beurs) de 1983, SOS racisme, le goût du métissage, l’invention de concepts tels que les cultures plurielles et la diversité, c'est une certaine volonté d’accepter l'immigration...
Mais c’est aussi les idées de l’extrême-droite pénétrant l’opinion, le rôle grandissant du FN, les « lois Pasqua »… C’est Madelin, Longuet, Devedjian, Pasqua, ex militants du GUD (Groupe Union Défense) ou du mouvement Occident, présents dans un gouvernement de cohabitation PS-RPR. C'est de nombreuses bavures policières dont les coupables étaient trop souvent protégés. C'est des quartiers d'immigrés qui vieillissent et s'enclavent. C'est la méfiance qui s'étend.

Les années Mitterrand, c’est un nouveau clivage politique, qui suivait non plus les intérêts de classes, mais les contours du racisme.

L’immigration, la fin des 30 glorieuses, le début de la peur

L’immigration du début du XXe siècle, latine, polonaise, africaine à la marge, avait été intégrée par le boulot, l'école, les guerres, puis par les 30 glorieuses, le cinéma populaire et par la proximité physique. C’était avant l’époque des quartiers d'immigrés et avant la télé.
L’immigration qui fait polémique dans les années 60, encore environnée de fantasmes, d’incompréhension et de peur, c’est l'immigration principalement maghrébine, africaine, orientale, et principalement musulmane. Ce qui génère de l'incompréhension, c'est les immigrés et leurs enfants.

François Ceyrac (mort en 2010), ancien président du CNPF (ex-MEDEF), interrogé dans l'excellent documentaire "mémoires d'immigrés" de Yamina Benguigui, explique comment les émissaires de l'industrie française allaient dans les campagnes du Maghreb pour trouver les hommes les plus laborieux, souvent des paysans, des jeunes hommes dévoués à la tâche. On les amenait en France, sur les chaînes de montage, chez Renault ou ailleurs, aux tâches les plus ingrates. Tout le monde était censé y gagner, croyait-on, même ces hommes qui pouvaient envoyer un peu d'argent au pays. Loin de leurs familles, ils étaient rassemblés dans des logements très frustes, les lits servant parfois à plusieurs d'entre eux quand ils faisaient les 3 huit.
Quelques années plus tard, dans les années 70, on se rend compte que les émigrés du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne ne vont pas, comme on le pensait quelques années plus tôt, "renter chez eux". Contre toute attente, ils restent. Ils s'installent. Et les observateurs sont inquiets. Ils observent des choses plutôt alarmantes : d'une part, la forte surmasculinité des communautés de travailleurs éloignés de leurs familles ; d'autre part, la misère et souvent l’analphabétisme. Un cocktail détonant, source d'incompréhension et du sentiment d'exclusion.
Mais beaucoup de Français s’émeuvent des conditions de logement de ces immigrés du Maghreb. Alors que ces populations de travailleurs étrangers étaient parquées dans des bidonvilles, l'Etat les regroupe peu à peu dans des cités dortoir « provisoires ». Le provisoire va devenir définitif, et les barres d’immeubles vont accueillir les enfants, les petits enfants… 
La France s'adapte tant bien que mal à une réalité nouvelle : la résidence de nombreuses familles immigrées. Une réalité qu'aucun pouvoir n'avait anticipée, et que certains, dotés d’une grande sagesse, traduisent par : « meeuuu bordel ! on n’est pû chez nous ! » 

Auparavant, c’était simple, on se méfiait parfois des étrangers, mais on faisait avec : on savait qu’ils étaient des bras pour le travail et de la chair pour les canons. Mais à la fin des années 70, ce ne sont plus des isolés : ils forment des groupes, des « populations ». Fait aggravant, tout cela arrive au moment d’une crise capitaliste : alors que l’on allait vers plus d’aisance sociale et plus d’insouciance depuis deux bonnes décennies, le choc pétrolier et ses conséquences nous font basculer de cette belle quiétude vers l’austérité, vers l’inconnu.
Une partie de l’opinion, ébranlée, se méfie de ces étrangers qui viennent, au frais de l’Etat, manger le pain des Français 2. Ancienne méfiance, éternelle ignorance. La peur rôde.
Pour limiter l’explosion de ces communautés d’hommes, le gouvernement Giscard d’Estaing adopte deux mesures : la fermeture des frontières aux « migrations du travail » ; puis le regroupement familial qui permet à certains étrangers résidant sur le territoire de faire venir leurs famille. 
L'incompréhension grandit avec d’autres vagues migratoires : des étrangers d’extrême-Orient, d’Asie du sud-est ou des Caraïbes venus s’installer en France. Poussés par l’exil, la pauvreté ou l’espoir, ils se rassemblent, en familles ou non, dans les mêmes quartiers populaires, dans les mêmes villes nouvelles, dans les mêmes barres d’immeubles que les Maghrébins. Ils connaissent bien souvent l'exclusion, l’insécurité sociale, le chômage, et le racisme. Dire cela n’est pas du misérabilisme, puisque finalement ils font comme pas mal de gens qui, déjà en France, ont la nationalité, la langue, les codes et les usages français 1 : ils galèrent. Les immigrés ont juste une petite casserole en plus, ils ne sont pas français.

L'immigration, aujourd'hui, reste la patate chaude des pouvoirs : on ne sait pas comment en parler, on ne sait pas parler aux immigrés, on ne sait pas quelles moyens d'intégration leur proposer. On sollicite des experts sur les plateaux télé et dans les colonnes des grands hebdos politiques, en espérant mieux comprendre ces immigrés... qu’on n’interroge pas, ou trop peu. On glose sur leurs intentions, sur ce qu'ils peuvent prendre ou apporter à la France... sans le leur demander. 
Parfois la Machine Intégration s’enraye, il y a des secousses, des collisions, des révoltes communautaires ; on se jauge, il y a des conflits, chacun défend des "enjeux de civilisations". Alors on fouille un peu, dans nos sacs de préjugés, dans nos kits de "jugements-prêts à consommer", de quoi clamer que c'est la faute aux immigrés. C’est quoi, la faute des émigrés ? leur religion ? leurs familles nombreuses ? le trou de la sécu ? le travail qu’ils font à notre place ? le travail qu’ils ne veulent pas faire ? Les griefs sont nombreux. 
Dans le climat de peur et de défiance de la fin des années 1970, l’extrême-droite, entraînant une partie de la droite, a trouvé de quoi nourrir son discours : de nouveaux fauteurs de troubles, un nouvel ennemi extérieur. Et la haine a trouvé un écho dans une opinion qui ne sait pas vers quel adversaire se tourner.

(la suite plus tard...)

1 voir Dominique SCHNAPPER, La France de l'intégration, Gallimard 1991
2 Yves GASTAUT, L’immigration et l’opinion publique en France sous la Ve République, Seuil, 2000

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