11 février 2018

Jacques-Henri Michot : l'arme lourde pour détruire le langage marchand

Depuis plusieurs années j'ai pris l'habitude de compiler des expressions issues de ce que j'appelle le "langage marchand" : des expressions conçues par et pour les publicitaires, souvent dépourvues de sens mais liées aux suggestions, aux désirs. Des expressions utilisées par les médias et les communicants politiques.

Ce langage est constitué :
- de concepts venus des idéologies néolibérales ;
- d'éléments de langage, que les salariés du commerce et de la com' sont sommés de maîtriser ;
- de mots anglais donnant une idée vague mais moderne, et qu'on préfère au français pourtant mieux compris ;
- de termes utilisés pour parler des minorités quand on n'ose pas les qualifier ;
- d'oxymores — constitués d'un mot positif associé à un mot contraignant.

Et pour qualifier le noms de certains emplois professionnels, on accole plusieurs termes en supprimant les conjonctions et les prépositions, ce qui rend ces emplois imprécis et moins protecteurs pour les salariés...

outil de campagne pour 
François Fillon
Ce langage formate notre façon de penser — ou de ne pas penser — aussi sûrement qu'une novlangue. Il révèle la logique marchande, la logique mensongère et le mépris social. Exemple parfait : la SNCF qui, pour moderniser son image, crée un nouveau discours, renomme ses prestations et impose un nouveau nom pour "gare" ou pour "contrôleur"... Un choix parfaitement assumé par Guillaume "la voix de son maître" Pépy.

Il me paraît indispensable de révéler ce langage marchand pour mieux le détruire, et pour redonner du sens au langage qui est le nôtre : notre langage en perpétuelle évolution, encyclopédique ou fait d'influences argotiques. Notre langage, qui échappe au contrôle des institutions, du commerce et de la politique.
J'ai nommé cette liste "mots et expressions à bannir", en voilà un aperçu :


...


Et puis je suis allé voir "EN SUSPENS", la dernière exposition du BAL, une galerie à Paris, 17ème. On y tente de "traduire quelque chose de notre temps", dit Diane Dufour, commissaire de l'expo.
Parmi les artistes exposés, il y avait Jacques-Henri Michot dont j'ai découvert l'ABC de la barbarie à travers une présentation d'extraits. Ce bouquin propose "un recensement des lieux communs qui ponctuent le langage journalistique comme autant de slogans affirmatifs, et qui finissent par infiltrer, à notre insu, le langage", il "décrypte avec une vive précision la langue des médias, étudie son fonctionnement et l’impact propagandiste qu’elle peut avoir sur les gens".











Voilà l'écho parfait à ma compilation personnelle : Michot a défriché, étudié le langage marchand pour en démonter la logique. Il a poussé l'idée avec une immense ironie et un talent d'observation, et le résultat nous donne le vertige : ces expressions vides de sens, surexploitées aveuglément et sans distance par les journalistes, illustrent une manière formatée d'envisager le monde, les relations humaines et même la morale.

Ajustements structurels
Aventuriers des temps modernes
Bavures
Berceaux de la culture occidentale
Bourrasques monétaires
Cercles proches du pouvoir
Coups médiatiques
Créatures de rêves
Crises d'identité
Déçus du socialisme
Dépassement de soi
Difficiles apprentissages de la démocratie
Etrangers en situation irrégulière
Exportations de matière grise
Faits marquants de l'actualité
Fine fleur du monde de la finance
France profonde
Maîtres à penser
Majorité silencieuse
Masturbation intellectuelle
Oubliés de la croissance
Pays des droits de l'Homme
Urbanisations sauvages
Usines à rêves

Cette liste est un reflet de nos routines : il est grinçant mais salutaire !

Un ABC de la barbarie, de Jacques-Henri Michot, éd. Al Dante, 2014 (première édition, 1998)

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