4 septembre 2009

Les images d'Epinal sur l'Afrique et la culture "world"

En ce moment à Paris, le festival rue Léon invite des artistes africains, musiciens, conteurs, etc. La programmation est attirante, mais le texte de l'annonce cible un public en mal d'exotisme et fait appel à des archétypes confortant nos préjugés sur la figure de l'artiste africain.

Retrouvez dans le cadre du "festival Rue Léon #10" (jusqu'au 19 septembre) des concerts de musique africaine du mercredi au samedi à 20h30 à l'Olympic Café. Peul, créoles, malinké, pulaar, bambara, Diallo [il doit s'agir des Diolas , Diallo étant un patronyme peul] , wolof, könon, arabe, français, wassoulou? autant de langues employées tour à tour par les griots, musiciens africains et européens, pour délivrer des messages singuliers, liés à leurs histoires et leurs cultures, et universels puisqu'il s'agit avant tout de plonger tous les publics dans une danse chaude et fraternelle. Les mille langues de l'Afrique se donnent rendez-vous et nous convient à découvrir une culture forte, polyglotte et orale où chacun peut découvrir dans quelle mesure nous sommes tous des africains?

Le texte n'est qu'une accroche et n'a rien d'unique, dans son genre. Au contaire, il est dans l'air du temps et j'aurais pu prendre beaucoup d'autres exemples d'annonces d'évènements autour sur cette culture " world ", une culture qui se veut universelle, métissée , colorée, fes
tive, et qui occupe d'autant plus l'espace urbain que nos moeurs s'uniformisent et que la vie sociale et politique se couvre de grisaille.
On est ici dans le registre du spectacle et des sensations, le public veut danser, veut de l'exotique, du dépaysement (pas si dépaysant que ça, quand il se superpose si bien à nos images d'Epinal). Le texte n'a pas vraiment de sens, sinon celui de nous donner l'illusion que l'Afrique colle à une représentation de fraternité, de danse, et que chacun de nous devrait s'identifier aux Africains (quand il ne l'est pas déjà). Mais la culture africaine est-elle unique ? peut-on la réduire à une culture polyglotte et orale au lieu d'une foule de cultures parfois fondamentalement différentes et divergente s ? La civilisation éthiopienne, cosmopolite depuis un millénaire, les royaumes bambara du Mali, les peuples Angolais, influencés par les portugais, Congolais, par les Belges, les populations islamiques, animistes, chrétiennes, aux traditions patriarcales fortes ou pas, ayant des philosophies et des cosmologies différentes... tout cela peut-il constituer une même culture, qu'on voudrait voir uniformisée dans une représentation festive et sympa parce qu'alternative à la culture parisienne ?
On est ici dans le registre du spectacle et des sensations. On évoque des vertus telles que la fraternité et l'universalité pour attirer le public. Veut-on flatter les Africains invités avec cette formule qui sonne si bien - "nous sommes tous des Africains" ?
Quant aux griots, il est important, parfois, de rétablir certaines vérités. Les griots sont avant tout des troubadours dont l'art est un commerce. Ils sont chargés de chanter des louanges, d'enjoliver l'histoire des grands de ce monde pour la diffuser, comme Paris-Match l'aurait fait en usant de musique et de poésie, auprès du bon peuple.
Comme dit Mamadou Lamine Traore :

les griots "ont la mémoire plus sélective que celle des historiens occidentaux. Leur savoir, s'il aide à jeter des jalons, ne peut suffire dans la reconstitution du passé africain. Le griot est plus un poète qu'un homme de science ; chaque parole qu'il exprime doit être acceptée par la communauté à laquelle il s'adresse. De sa bouche sort toujours la vérité car il en est le Maître. Sa vérité est plutôt d'ordre subjectif qu'objectif ; elle est plus proche de la parole du prêtre et du devin que de la vérité du mathématicien.

* Les griots sont des « troubadours fonctionnaires », dépendants des grandes familles ou de certaines ethnies. Ils gardent en mémoire les hauts faits de ces familles et ethnies et se les transmettent de père en fils. Par exemple, l'histoire de l'Empire du Mali est rapportée dans une suite de paroles laudatives et hymnes adressés à la famille Soundiata, le plus brillant des empereurs du Mali. Les griots constituent une caste de maîtres du verbe attirés par le pouvoir et la richesse"

in "Philosophie et géomancie", 1979.

Le jugement est sévère mais il a le mérite de démystifier la fonction de griot. Pas des poètes maudits, pas des baladins, pas des raporteurs objectifs de l'histoires des peuples africains, mais des louangeurs, des nègres, quoi. Talentueux, fascinants parfois... Attirer un public large vers la connaissance d'autres civilisation, ça n'oblige pas à les mystifier en les qualifiant d'universelles et en les rendant absolument exotiques. Il serait profitable de redonner aux cultures africaines leurs unicités et spécificités, sans amalgames. De dire, justement, que nous ne sommes pas tous des Africains, et que c'est justement une bonne raison de faire mieux connaissance avec eux.

Et comme la programmation du festival bêtement nommé "nous sommes tous des Africains" est bien chouette, je vous fais part des infos :

Bademba (blues Mandingue, Burkina Faso) ce vendredi 4 & 11 & 18 sept - Entrée 5€, Black Pyramide (Sabar, Sénégal) ce samedi 5 & 12 & 19 sept - Entrée 1€, Mam Sika (contes, Bénin) mardi 8 & 15 sept - Entrée 1€, Pakare (zouk, Antilles) mercre di 16 septembre - Entrée 1€, et Bachir Sanogo (jazz, Côte d'Ivoire) mercredi 9 septembre - Entrée 1€.

Tous les jours jusqu'au 19 septembre à 20h30
Olympic Café :
20 rue Léon, 75018 Paris
M° Château-Rouge


http://www.rueleon.net/


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