27 novembre 2015

Cinéma franco-oriental sur les femmes : la critique française 👍

Pour faire un film qui séduit la critique et les médias français, il faut évidemment un bon travail de prod, mais ça ne suffira pas : il faut aussi que le propos reflète le consensus moral qui règne au sein du public visé, et qu'il y ait un bon boulot de distribution et de promotion. C'est le travail des communicants. Alors quand on tombe sur l'affiche du film "Une femme iranienne", et qu'on y voit : de jolies filles au regard songeur + un hijab + un paysage montagneux + des signes d'opposition "tradition vs modernité", on se souvient des mêmes codes graphiques et des mêmes visages qu'on a  vu pour d'autres films, et on pense à un joli coup de pub.
Une femme iranienne, de Negar Azarbayjani

Une femme iranienne fait partie des "films franco-orientaux sur les femmes en milieu patriarcal" : c'est un genre à part entière qui regroupe des coproductions européennes et nord-africaines / orientales. Un genre généralement apprécié par la critique ciné et par un public plutôt occidental, cultivé et pétri d'une morale social-démocrate, et qui doit présenter ces éléments invariables : de l'exotisme oriental + un drame familial + une belle femme + une nature rebelle pour que cette belle femme incarne le "combat pour la liberté" + des visages voilés + des larmes, causées par des frères ou des papas colériques. Et souvent, l'Islamisme ou l'intégrisme juif, qui à force d'être rétrogrades alimentent ce genre cinématographique qu'on considère progressiste.
Dans la forme, il y aura toujours ces éléments : ambiance intimiste + longs plans séquence + jeux de regards tendus. Et aussi : des lignes verticales pour exprimer l'enfermement ou la rupture + du flou dans le décor en arrière plan avec touches de couleur chaudes pour l'espoir + une musique mélancolique world (avec un oud par exemple)... c'est qu'on a nos petites habitudes !
Les films franco-orientaux sur les femmes en milieu patriarcal illuminent les grands festivals internationaux, Toronto, Berlin, Venise, Cannes, comme le clament les affiches. En France, Télérama, Libé, Elle et France Inter relayeront le message de liberté et de tolérance qu'ils véhiculent.
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Ces dernières années on a ainsi pu découvrir de nombreux films du Liban, d'Israël, de Turquie, d'Inde ou d'Iran (et aussi, à la marge, d'Egypte, de Syrie, d'Arabie Saoudite). Leur production, en partie française (ou allemande ou britannique selon l'histoire coloniale), nous permet d'y voir Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Nadine Labaki ou Juliette Binoche, égéries hexagonales de ce genre, avec Ronit Elkabetz, Hiam Abbas ou Golshifteh Farahani. Ces films reflètent avant tout la vision d'un certain public français, plutôt aisé, plutôt parisien et plutôt de gauche, qui aime qu'on lui propose un témoignage d'un pays oriental. Un témoignage "tellement juste", dit-il, même s'il ne sait rien du pays en question, mais qui confortera ses idées sur le monde en même temps que sa posture morale.

Pour ce qui est de la promo, les affiches respectent un code graphique bien rôdé : visages, contrastes, décors, lignes de ruptures avec souvent 3 bandes dynamiques (horizontales ou en biais). On y retrouve les beaux visages songeurs, les éléments de décor, des hijab et des signes ostentatoires de modernité, les éléments qui forment la structure morale de ces fictions. Confondant.


On comprend que l'affiche d' Une femme iranienne est un concentré de tous ces visuels. En plus, elle porte un titre comme la Une d'un tabloïd : le titre original,"Aynehaye Rooberoo" ("miroirs qui se font faces") a été traduit par une formule stéréotypique. 
Cette affiche nous montre aussi ses "bonnes notes", nominations et prix glanés lors des festivals, et dont on a fleuri l'affiche, comme pour nous assurer que si les critiques ont aimé, nous devrons aimer aussi. Festival Des Films Du Monde. Festival Du Film De Femmes. Festival International Des Droits De L'homme... Les noms de ces festival sonnent comme une déclaration d'intentions morales. Avec des extraits de critiques, "un grand moment de cinéma", "la nouvelle perle du cinéma iranien", etc.

Je m'étonne toujours qu'on prétende célébrer la liberté face aux traditions, quand notre propre paresse intellectuelle et morale nous pousse à répéter les mêmes comportements moutonniers. Ici, tout comme dans les sociétés lointaines dont on parle, une évidence s'impose : il est difficile de dépasser les codes établis.

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MISE A JOUR 2016
dans la série "film occidento-africain sur les femmes en milieu patriarcal", voici "Difret", film éthiopien de Zeresenay Mehari mais avec des américains à la prod.

On se félicitera que le film ait été fait avec de bons moyens, histoire de porter le sujet. Mais du coup, ce regard occidental a pesé lourd, et chez le distributeur, on a fait comme d'hab.
L'affiche française est une variation sur le code graphique en vigueur ici ; on y voit 3 représentations distinctes pour englober tous  les sujets : en gros plan, le visage d'une jolie jeune femme au regard songeur ; en arrière plan, le désert avec des hommes à cheval, symbole d'agression ; et une 3ème image figurant une scène de complicité entre femmes.
Pour le sous-titre, on ne s'est pas embarrassé : "En Ethiopie, le combat d'une femme contre les traditions". Les prix et nominations aux festivals, placés au milieu de l'affiche (Berlin, Sundance, Londres, Valenciennes) signifient que ce "combat d'une femmes contre les traditions" est bien accueilli ici, chez nous, dans notre milieu culturel occidental tellement progressiste.
Chez nous, bien sûr, les femmes ne sont évidemment pas victimes de discrimination... surtout pas dans le milieu du cinéma, n'est-ce pas ?


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