17 octobre 2017

"Syrie : Daesh chassé de Raqqa" - décryptage d'une couverture médiatique

"Syrie : Daesh perd Raqqa" ; "Raqqa libérée de Daesh"... les gros titres du jour, dans les médias français, communiquent la joie de cette victoire sur l'organisation terroriste. 
L'armée syrienne — après 4 mois de combats et des milliers de morts dont un tiers de civils — a donc repris Raqqa. "Avec le soutien de la coalition internationale", précise BFM, la plus influente des chaînes d'info TV.
Ce qu'on voit est un traitement binaire, les méchants vaincus par les gentils : d'un côté, des civils qui disent avoir "traversé l'enfer". Des textes sous les images précisent les atrocités commises par Daesh, 270 enfants tués, des civils pris comme boucliers humains, les châtiments rituels, décapitations et lapidations sur les grandes places... l'horreur. 
De l'autre côté : des soldats en liesse, des groupes d'hommes qui dansent. Une femme qui plante un drapeau victorieux. 
Cette image d'une armée "régulière" qui fait une place aux femmes nous semble rassurante, à nous, téléspectateurs européens, attachés à la liberté, aux droits des femmes et opposés à l'obscurantisme fondamentalistes.
Mais que comprendre ? Cette armée est-elle bien là en soutien aux forces gouvernementales ??? Car si l'armée syrienne ne défend pas la doctrine salafiste, on sait qu'elle a usé de la plus grande cruauté envers ses adversaires et parfois envers les civils. On sait que certaines armées au service du tyran Al-Assad, ont violé, torturé, tué des dizaines de milliers de gens et a jeté sur les routes des centaines de milliers d'autres. Alors : quelle part de soulagement, quelle part de crainte ? Quand on connaît peu les communautés qui se font face en Syrie, on est bien paumés dans cette info.

Dans ce reportage, il y a deux femmes qui prennent la parole, dont Rojda Fellat, "commandante des forces démocratiques syriennes"
Ce dont les médias majoritaires ne parlent pas, c'est la nature de cette armée qui a combattu Daesh. Il ne s'agit pas d'une force qui accompagne le régime syrien, mais de tout autre chose.
Rojda Fellat est commandante militaire et féministe révolutionnaire kurde. Si elle a sa place dans cette armée, c'est que celle-ci est originaire du Rojava, une région au nord de la Syrie qui est le théâtre du expérience politique rarissime menée par le peuple kurde. C'est là qu'ont été fondées les Unités de protection du peuple (YPG). Le projet est révolutionnaire et prend ses sources dans les expériences de la Commune de Paris, des mouvements révolutionnaires d'Europe du début du Xè siècle (Rosa Luxemburg est un des modèles de Rojda Felat), ou du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
C'est pas rien. Comme le précise l'article que Guillaume Perrier a publié en juillet pour le site de Elle : "Le féminisme est au cœur du projet kurde syrien. Et ce n'est pas seulement une question de communication à l'attention des publics occidentaux !"
Les YPG défendent la justice sociale et la révolution démocratique, mais aussi égalitaire et multiconfessionnelle  Ecologistes, ces gens-là entendent combattre les pouvoirs religieux et il est possible de se dire athée au sein de leur communauté. Ce mouvement est également féministe et au sein des YPG s'est créée une branche féminine.

A part quelques rares grands médias français, comme Elle, seuls les médias militants ont relayé cela.
On peut donc s'informer sur LundiMatin (avec la série de reportages d'un combattant européen qui a rejoint les rangs des YPG), Reporterre ou Bastamag.

Récemment, c'est le site Arrêt sur Images qui s'est interrogé sur le traitement, par les médias occidentaux, de cette expérience révolutionnaire.

Alors de mon côté, je veux parler de ça, je souhaite que cette armée, qui me semble aussi inspirante que celle du sous-commandant Marcos, fasse parler d'elle. Parce que si des forces opposées à Daesh doivent être soutenues, c'est sans doute les Kurdes des YPG.




Ajout du 25 février 2018 :
J'ai modifié le post tel que je l'avais écrit d'abord, tant il était le fruit de mon ignorance, qui est sans doute celle de nombreux français mal informés. 
En effet j'avais écrit des énormités du genre : "Les vainqueurs du moment , sans doute alliés du régime syrien, sont sans doute, avec lui, responsables d'actes cruels envers des civils, femmes et enfants compris. (...) L'image de Rojda Fellat permet donc de faire oublier la tyrannie et les crimes contre l'humanité, pour mieux désigner Daesh". 
Donc finalement je précise ce que j'ai appris depuis : Rojda Fellat est bien "commandante des forces démocratiques" et ce n'est pas du flan. Née à Qamichli au nord de la Syrie, elle vit au Rojava, un territoire qui participe à une expérience politique unique : "une révolution sociale communale, multiethnique, féministe et autonome : celle du « confédéralisme démocratique », concept théorisé par l’écologiste Murray Bookchin."



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire