10 juillet 2016

musée du quai Branly - Jacques Chirac : quand relation coloniale devient dialogue des cultures

La publicité faite pour l'exposition "Jacques Chirac et le dialogue des cultures", au musée du Quai Branly, risque de provoquer de la colère et de l'incompréhension. Cette expo a été inaugurée le 21 juin et la veille, le musée s'était opportunément rebaptisé « Musée du quai Branly-Jacques Chirac ».
Un autre Jacques.
OK, c'est lui qui a soutenu le projet de ce musée. Mais faudra-t-il s'habituer à ce genre d'expo à la gloire de chefs politiques ?

Ce n'est pas la première grande exposition sur une personnalité industrielle ou politique. On se souviendra de la révoltante exposition sur l'empire industriel de Wendell, en 2004 au musée d'Orsay. Elle était financée par la famille de l'industriel et présentée par son descendant, le baron Ernest-Antoine Sellières, alors président du Medef. L'expo "Louis-Vuitton - Marc Jacobs" aux Arts décoratifs, à Paris en 2012, est aussi un événement "culturel" qui confine au conflit d'intérêts. Le site web Louvre pour tous, qui apporte un regard critique et éclairant sur l'actu des musées, fourmille d'exemples de ce qu'on appelle désormais des publi-expositions (1). Ces opérations permettent de redorer quelques blasons et de faire briller une image parfois ternie par certains choix politiques...
Cette nouvelle publi-exposition nous présente le "portrait culturel" de Chirac, dressé pour l'occasion. Elle évacue les saloperies et embellit ce qui reste ; elle gomme les alliances foireuses et les méthodes de ripoux qui jalonnent sa longue carrière, pour présenter une hagiographie.
Tout a été très bien fait. Le commissaire de l'exposition n'est autre que Jean-Jacques Aillagon, aux Affaires culturelles de Paris quand Chirac en était maire, puis ministre de la culture quand il était président ; son assistant est Guillaume Picon, historien spécialiste des... rois de France. Ce n'est pas une blague, seuls les méchants et les cyniques trouveront à se moquer.
Jean-Christophe Castelain, dans le Journal des Arts, n'est pas très complaisant : « De deux choses l'une, soit c'est un portrait culturel et l'exposition devrait s'en tenir là, soit c'est un portrait tout court et il convenait de montrer aussi le bilan du candidat de la "fracture sociale" »

Chirac passe aujourd'hui pour un gentil gars, proche et aimé du peuple. « Les erreurs de ses deux mandats à l'Elysée s'effacent peu à peu. Il ne reste plus chez les Français que le souvenir d'un homme attachant qui défendait des valeurs humanistes », selon un de ses anciens ministres. Il faut avouer que Sarkozy et Hollande font dire à beaucoup de monde que "c'était mieux avant". L'amnésie collective aura-t-elle raison de la réalité ?
le logo du musée
Chirac a bâti son image d'homme de culture en révélant il y a 20 ans son intérêt pour les statues taïnos et les "arts premiers". Mais cet intérêt, c'est celui des touristes qui rapportent des objets rituels ou des sculptures traditionnelles, puis qui les séparent de leurs fonctions originelles pour les placer sur la cheminée ou sur le marché de l'art. (2)
Le "dialogue des cultures", pour Chirac, c'est le dialogue entre un chef et ses sujets, entre un maître et ses élèves, entre un parrain et ses seconds couteaux. A l'image du rapport qu'il a toujours entretenu avec les pays dont sont issus ces arts premiers qu'il apprécie. 

Jacques Chirac et Omar Bongo
Certains parleront d'une relation paternaliste — mais un père soigne ses mômes ; il serait plus juste de parler de relation coloniale. Une relation d'intérêts. 
Un genre de relation qu'a initié De Gaulle (« Les Etats n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts », disait-il) et qu'ont perpétué tous les présidents de la 5ème république.